- Neuf-Brisach - 1870 - Souvenirs de captivité. - 4 - Extraits décrivant la captivité des prisonniers de la défaite de Neuf-Brisach
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Chapitre sixième: reddition de la place - captivité - extrait n° 8/
(Leipzig, novembre 1870)
Nous nous mîmes en quête de logements. On nous demandait des prix extravagants; il en fut de même pour la plus mauvaise pension. Nous nous entr'aidâmes et nous nous réunîmes par groupes pour faire vie commune.
Nous nous retrouvions chaque jour à l'ancien café français, dont les allemands avaient eu la puérilité de gratter l'enseigne. Nous étions en quarantaine dans une salle spéciale. De longues files d'indigènes se pressaient constamment aux barreaux des fenêtres.
Il est de mode en Allemagne de faire des collections de boutons comme de timbres-poste, de telle sorte que, très reconnaissables même sous nos habits bourgeois, nous étions assaillis dans les rues par une foule de collectionneurs qui nous demandaient à grands cris des "Poudongs"! Les premiers jours on alla jusqu'à nous en couper sur les pans de nos uniformes.
On nous volait, du reste, avec ardeur et de toutes les façons; la rapacité des marchands allemands se faisait jour sous la forme de cartes-annonces avec cette en-tête: "Messieurs les offiziers français!"
Notre solde de captivité était cependant bien légère!
Le beau sexe était plus généreux. Il offrait des rendez-vous par l'organe des journaux.
Le château de Pleissenbourg à Leipzig vers 1800
Chapitre sixième: reddition de la place - captivité - extrait n° 9/
(Leipzig, novembre 1870)
La jalousie allemande s'émut et la presse accusa les jeunes Germaines de manquer de patriotisme. Cependant la voix des honnêtes journaux de Leipzig n'étant point écoutée, l'autorité militaire intervint brutalement.Un ordre de la place nous intima la défense de sortir de chez nous entre onze heures du soir et six heures du matin. - Comme il s'agissait d'un intérêt public, ou plutôt d'un intérêt de race, on fit de nos logeurs des mouchards. Sous peine d'une forte amende, ils devaient, le cas échéant, faire leur rapport à la place.
Nous nous tenions très à l'écart; nos pensées étaient tout à la patrie. - Chaque jour les dépêches allemandes annonçaient de nouveaux revers. Les hourras de la population, les drapeaux dont on pavoisait les maisons ravivaient sans cesse notre tristesse.
Loin du théâtre de la lutte, vivant au milieu de ce peuple si vain de ses victoires, si sûr de son triomphe final, notre espoir dans le salut de la patrie diminuait tous les jours davantage. - Nous prévoyions déjà que l'exil serait, pour nous Alsaciens, plus long que la captivité, et qu'à notre retour nous trouverions l'Allemand maître de nos foyers.
Chapitre sixième: reddition de la place - captivité - extrait n° 10/
(fin 1870)
Les soldats, plus encore que les officiers, devaient souffrir de la captivité; aux angoisses morales s'ajoutaient pour eux des souffrances matérielles. Ils subissaient le froid, la faim, et un dur emprisonnement. Le capitaine de la 1ere batterie d'artillerie mobile du Haut-Rhin prit l'initiative d'une souscription parmi les officiers internés à Leipzig. Malgré la faiblesse de nos ressources, cette souscription atteignit bientôt le chiffre de 500 thalers (1875 francs). - Cette somme permit de retirer les ballots d'effets envoyés par la société internationale de secours, et retenus en gare faute d'acquittement des droits de transport et de douane qu'exigeaient les allemands. Le contenu des ballots fut distribué aux prisonnier internés à Leipzig. On acheta encore des chemises et des vêtements chauds, de telle sorte que tous les hommes internés dans la place se trouvèrent suffisamment pourvus. Au camp d'Ubigau la situation était affreuse. Un officier se rendit à Dresde emportant des caisses de vêtements. Il s'adressa en vain au commandant de place et au commandant du camp, pour être admis à voir les prisonniers. Il lui fallut aller jusqu'au ministre de la guerre.
Ubigau est situé à la périphérie ouest de l'agglomération de Dresde, en bordure de l'Elbe.
Chapitre sixième: reddition de la place - captivité - extrait n° 11/
(fin 1870)
Ce n'était pas sans raison que les Allemands s'étaient prêtés de si mauvaise grâce à cette visite. Situé à une lieue de Dresde, dans une plaine ouverte à tous les vents et contournée par l'Elbe, le camp était entièrement clos de hautes palissades; sur la rive opposée du fleuve, des pièces de canon étaient braquées sur cette enceinte. Des baraques en bois, dont le plancher était au-dessous du niveau du sol, abritaient à peine les prisonniers. Les hommes avaient un poêle par baraque; mais, la neige fondant sur les planches mal jointes, l'eau coulait à travers la toiture. Il y avait souvent près d'un pied d'eau dans ces sortes de sous-sols, qui furent complètement inondés au moment du dégel. Toutes les corvées du camp à la ville se faisaient dans des tranchées de neige, au moyen de chariots auxquels étaient attelés souvent plus de vingt Français conduits par des Prussiens, le fusil chargé. C'était sur ces voitures non couvertes, et traînés par leurs camarades, que les nombreux malades étaient transportés à l'hôpital de Dresde.
La discipline était sévère et la répression des moindres infractions atroce: les hommes punis étaient liés à des poteaux et ils restaient ainsi, pendant deux heures, exposés, immobiles, à un froid glacial.
Chapitre sixième: reddition de la place - captivité - extrait n° 12/
Leipzig, hiver 1870
Les prisonniers étaient à peine nourris. Les feldwebels allemands qui avaient la surveillance des baraquements ne se faisaient pas faute de diminuer encore à leur profit des rations déjà insuffisantes. Ils y mettaient si peu de pudeur , qu'ils osèrent offrir une part du butin aux sergents-majors français dans l'espoir de n'être pas dénoncés. Après cela, faut-il s'étonner qu'une partie seulement des vêtements envoyés par la société internationale soit parvenue aux soldats prisonniers!
L'insuffisance de la nourriture et un froid qui descendit à - 29 ° Réaumur (36° centigrades au-dessous de zéro) engendrèrent de nombreuses maladies, surtout le typhus, qui décimèrent les troupes internées en Allemagne.
A Rendsbourg et à Koenigstein les souffrances n'étaient pas moins atroces.Les officiers des francs-tireurs de Mirecourt, faits prisonniers en même temps que nous, furent conduits dans cette dernière forteresse. Ils y furent traités de la façon la plus barbare; sans cesse on leur faisait entendre qu'ils seraient passés par les armes.
Il fallut s'adresser aux plus hautes autorités prussiennes pour obtenir qu'ils fussent traités de la même façon que les officiers de l'armée régulière.
Comme partout ailleurs, à Leipzig, on nous inondait d'exemplaires du Drapeau. Ce journal bonapartiste arrivait par ballots à la place.
L'Elbe et la forteresse de Königstein
Chapitre sixième: reddition de la place - captivité - extrait n° 13/
(Leipzig,décembre 1871)
Les Allemands mettaient consciencieusement nos noms sur des bandes et cette feuille nous était adressée en double exemplaire à domicile. De nombreuses protestations repoussant le rôle étrange qu'on prétendait faire jouer à l'armée prisonnière, furent signées par le plus grand nombre des officiers internés à Leipzig. L'autorité militaire, qui contrôlait minutieusement notre correspondance, les arrêta pour la plupart. On alla même jusqu'à nous interdire la lecture de l'Indépendance belge qui se montrait sympathique aux armes françaises.
Cette complicité des Allemands avec le gouvernement qui leur avait déclaré la guerre et contre lequel seulement, à leur entrée en France, ils se prétendaient armés, ne devait pas toujours durer.
L'attitude de la France et des soldats internés ne se prêtait pas à des projets de restauration impériale. Le jour où les Allemands comprirent qu'ils auraient à traiter avec le gouvernement de la République, ils prirent l'inutile précaution d'interdire aux officiers d'émettre le vote que le gouvernement déchu demandait alors à l'armée prisonnière.
Les dames de Leipzig ouvrirent parmi les habitants une souscription pour venir en aide aux blessés, à l'occasion des fêtes de Noël; elles décidèrent toutefois que leurs charités ne descendraient pas jusqu'aux soldats français qui se trouvaient à l'hôpital de la ville.
A suivre.... http://bauds.over-blog.com/article-33200780.html